22/02/2013
Dimanche 17 février, Les retrouvailles des femmes de Kochi
C’était le second jour « J », pour lequel Josette m’a emmenée à Kochi. Elle tenait absolument à me présenter les femmes qui ont bénéficié de Souffle de l’Inde depuis son ouverture et avec qui elle est toujours en contact. L’accueil a été très chaleureux. A midi, nous étions attendus chez Shinie. Souffle de l’Inde n’a plus de local à Kochi et seule, Shinie a une maison capable de nous accueillir tous. Les embrassades ont été longues, émues, magnifiques… J’ai senti toute la reconnaissance de ces femmes envers Josette, qui n’ont pas grand-chose et que la vie n’a pas épargnées. Elles étaient sept à nous attendre.
Il y avait Giji dont j’ai déjà raconté la pauvre histoire, et aussi Shinie, Big Jessie, Shela, Cassseline, Mable et Philomèna.
Giji est une femme douce, calme, réservée. On sent toute la tristesse qui est en elle. Et bien sûr, si elle a manifesté les retrouvailles avec Josette de façon très joyeuse et chaleureuse, c’était avant tout l’émotion qui la submergeait. Pour Josette, c’était pareil. Elles sont restées l’une contre l’autre un bon moment…
Shinie a poussé des cris de joie quand elle a vu Josette. Elle riait et parlait de façon très volubile. Ses yeux ronds tournaient à toute vitesse en dodelinant la tête. Son visage rond transmettait toute la gaîté qui l’animait en ce jour de retrouvailles. Elle a fait claquer des grosses bises sur les joues de Josette. Les autres ont été aussi très chaleureuses, mais j’ai senti que Giji et Shinie étaient l
es préférées. Toutes ont des histoires dramatiques ou très difficiles. Toutes ont été victimes de violence de la part de leur mari ou de leur belle-famille.
L’histoire de Shinie n’est pas aussi dure que celle de Giji, mais elle est pas mal non plus.
Shinie est restée mariée 45 jours !!... Son mari est mort dans un accident de la route. Ses beaux-parents ne voulaient plus d’elle car elle n’avait pas porté chance à leur fils. Elle a donc voulu retourner chez ses propres parents, mais ceux-ci refusèrent ; Ils avaient payé la dote et ne pouvaient plus l’assumer financièrement … Elle sera donc recueillie chez les sœurs. Quelques semaines plus tard, elle s’aperçoit qu’elle est enceinte et accouche d’un joli garçon. Apprenant cela, les beaux-parents le réclament « c’est le fils de leur fils défunt… » Les sœurs négocient et imposent qu’ils prennent la mère et l’enfant. Ce fût fait, mais la vie fut impossible pour Shinie qui se retrouva dans l’état de domestique pour cette famille sans égard pour elle. C’est alors qu’elle entend parler de l’association qui vient d’ouvrir et s’y présente. Elle est dans les premières. Normalement, Josette sélectionne des mères qui ont des filles. Mais il y a de la place.
Souvent, Josette remarque que le matin, Shinie arrive le sari mouillé. Pour plaisanter, elle lui propose de lui acheter un parapluie… Shinie lui avoue alors ses conditions de vie. Elle dort dans la pièce la plus délabrée de la maison avec un trou dans le toit qui provoque des gouttières, y compris sur son lit. En Inde, les gens prennent une douche le soir enfilent leurs habits pour le lendemain et se couchent avec sans drap de dessus.
Josette va voir les beaux-parents et les somme de lui donner une vraie chambre, sinon elle prendrait Shinie avec son fils en permanence à l’association ; ils s’exécutèrent … Shinie passait son temps à s’occuper des autres sans pouvoir penser à son avenir. Josette tentait de transmettre aux femmes accueillies, l’envie de se battre pour accéder à une vie meilleure. Au bout de quelques années, Shinie a eu l’opportunité d’acheter une petite maison dont les propriétaires étaient dans l’obligation de vendre. Le prix était accessible. Elle a vendu ses bijoux et a pu débloquer un prêt d’état car son mari était fonctionnaire. Des dons faits à l’association lui ont permis de compléter la somme. Aujourd’hui, elle rembourse toujours son prêt mais elle est chez elle et a pu couper les ponts avec ses beaux-parents. A souffle de l’Inde, elle a appris à coudre à la machine et continue toujours de confectionner des pochettes en tissu et autres objets vendus ensuite dans des boutiques solidaires. Chez les sœurs, elle avait appris à broder et le fait extraordinairement bien. Le jour, elle travaille dans un atelier de couture.
Big Jessie, a deux filles quand son mari meurt de maladie. Elle se retrouve donc seule avec ses deux filles à marier. Pour l’ainée, elle donne sa maison en lise. C’est une sorte de gage. Elle ne pourra la reprendre que si elle rachète ce gage, ce qui parait complètement impossible. N’ayant plus de maison, elle vit avec sa fille ainée. Lorsqu’elle arrive à l’association, sa deuxième fille est toujours scolarisée. Celle-ci tombe amoureuse d’un jeune homme et s’enfuit avec lui car, sans dote, sa famille n’en voulait pas. Ils ont fait un mariage civil mais sont toujours rejetés par leurs familles respectives. Même la fille ainée de Big Jessie ne veut plus en entendre parler. Big Jessie ne veut pourtant pas couper les ponts avec sa plus jeune fille et pendant quelques années, leurs rencontres ont lieu à l’association. La jeune femme vient souvent et rend quelques services puis, elle a un fils. Aujourd’hui, Big Jessie vit toujours chez sa fille ainée. Elle ne travaille plus, pour des raisons de santé. Pour voir sa seconde fille et son petit-fils, elle vient chez Shinie.
Philomena, ses parents l’avait mariée à un fils unique. Quand il est mort, sa fille avait un an. Elle est restée chez ses beaux-parents âgés et malades. Ils habitaient dans une maison insalubre et entourée de canaux nauséabonds. La petite a rapidement développé de l’asthme. Mais Philomena ne peut quitter cette maison, elle doit s’occuper de ses beaux-parents âgés jusqu’à leur fin. Aujourd’hui, elle travaille chez la même couturière que Shinie. Le soir elle fait encore des trousses à bijoux pour Souffle de l’Inde. C’est elle qui a la couture la plus soignée.
Shela, appartenait à une famille de deux filles. Elle a été mariée, mais pas sa sœur qui a une peau trop foncée. Les filles à peau claire sont plus faciles à marier, leur dote est moins importante. Elle a eu un fils et une fille. Dans sa toute petite maison, il y avait le couple, les deux belles mères, les deux enfants et la sœur célibataire. Seules Shela et sa sœur travaillent pour nourrir la maisonnée. Son mari, alcoolique, la frappe et lui prend son argent.
Leur propre mère morte, les deux jeunes femmes ont l’occasion de partir dans le Golfe pour des emplois de ménage. La belle-mère reste donc seule avec son fils alcoolique et les enfants à élever. Leurs conditions de vie étaient là aussi un véritable esclavage. Elles dormaient dans un placard et devaient être totalement disponibles pour les familles qui les employaient. Malgré tout, Shela a pu économiser son salaire et a acheté de l’or pour marier sa fille. Un jour, elle donne les bijoux à sa belle-mère, avec qui elle s’entend bien, pour qu’elle les garde. Mais au bout de quelques temps, la belle mère meurt et Shela doit rentrer. C’est là qu’elle s’aperçoit que les bijoux ont disparu. Son mari violent la bât chaque jour. Vaillante, elle continue malgré tout à faire des ménages. Malheureusement, le mari tombe malade et elle ne peut plus sortir travailler. En plus, il n’y a pas de protection sociale en Inde, il faut emprunter pour se soigner. La famille n’a plus rien et vit de mendicité et de la charité de l’église. Quand son mari meurt, elle entend parler de Souffle de l’Inde et demande à y travailler. La sœur, restée dans le golfe, l’aide à financer le mariage de la fille. La maison tombait en décrépitude lorsqu’elle arrive à l’association. C’est un de ses bénévoles qui lui a réparée. Son fils est rentré dans les ordres et ne pourra pas la prendre en charge pour sa vieillesse. Aujourd’hui elle travaille chez un tailleur et le soir elle fait des vêtements pour des voisins. Elle a un toit à elle.
Mable, avait un mari adorable qui est mort de maladie. Cela a été assez rapide pour ne pas ruiner la famille. Elle a un fils et une fille à marier. Elle donne donc sa maison en « lise » mais peut garder une pièce pour sa petite famille. Elle a rapidement travaillé à l’association grâce à qui elle a pu élever ses deux enfants. La fille s’est mariée et le fils a arrêté l’école assez tôt. Il a échoué à l’école et s’est mis à travailler dans le golfe. Il a pu racheter la lise. Mable est diabétique et doit emprunter pour se soigner. Elle vit avec son fils qui est lui-même marié.
Casseline, a été veuve très jeune avec une seule fille. N’avait pas de maison à elle et payait un loyer qu’elle n’arrivait plus à assumer. Son frère l’a recueillie mais il était handicapé mental. Il lui avait laissé une pièce pour elle et sa fille. La maison tombait en ruine. Les volets ne feraient plus. Sa belle sœur était terrible avec elle et les deux femmes se battaient continuellement. Casseline arrivait souvent en pleurant et un jour josette s’est aperçue qu’elle empruntait de l’argent aux autres femmes. Sa belle-sœur lui prenait toute sa paie et elle n’avait plus rien pour manger. Elle devait donc emprunter. Casseline est assez passive et fataliste. Josette lui expliqua qu’elle ne pouvait plus garder sa fille, si elle restait dans l’impossibilité de la nourrir. Elle lui proposa qu’elle et la petite restent à l’association. Heureusement la jeune fille était brillante à l’école et rapidement elle travaille dans un call center pour payer sa dote. Aujourd’hui, la belle-sœur et le frère sont morts et Casseline a hérité de la maison. La fille l’a fait raser et a reconstruit une autre maison, saine.
Nous partageons, toutes ensemble, sur un coin de table, le repas de l’amitié : du Byrianie au poulet avec un shutney de dates et épices ; délicieux. En dessert, de la Payasam, espèce de soupe de vermicelles ou de riz concassé au lait de coco sucré et du Ghee, des raisins secs, des noix de cajou ou des cacahuètes et de la cardamone. Un peu bourratif et douçâtre à mon goût, mais mangeable.
Ce fût aussi l’occasion de goûter le fruit du jacquier, entre banane et ananas. Très bon !
Dans l’après-midi, je leur montre le film tourné lors de l’anniversaire à Pondichery, des larmes d’émotion perlent sur leurs yeux. Souffle de l’Inde est parti. Elles sont seules désormais pour continuer leur chemin. Mais, elles restent soudées. On doit dire que l’association n’avait pas vocation à les suivre à très long terme… L’essentiel, c’est qu’elles aient toutes un travail aujourd’hui qui leur permet de vivre, ou presque. Seules deux d’entre elles sont maintenant trop âgées pour trouver un travail. Pourtant elles ont des compétences.
Giji a aussi la cinquantaine bien avancée, mais elle est la plus instruite de toutes. Elle parle très bien l’anglais et travaille dans une compagnie de téléphone.
En 10 ans, josette leur a appris à relever la tête, à se battre pour vivre mieux, elle leur a redonné leur dignité.
Les commentaires sont fermés.